1771 Réglement sur le commerce des chiffons
Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, volume 10
De Joseph Nicolas Guyot
CHIFFONS. On appelle ainsi les vieux linges , les vieux drapeaux qui
servent à fabriquer du papier. Et l'on donne le nom de chiffonniers à
ceux qui en font commerce.
Différentes lois ont défendu de faire sortir cette espèce de
marchandise du royaume & de la transporter chez l'étranger ; mais
comme on en éludent l'exécution, les fabricans & marchands de
papier, ainsi que les imprimeurs & libraires des principales villes
du royaume, ont à ce sujet fait des représentations qui ont déterminé
le roi à rendre en son conseil le 21 août 1771 , l'arrêt suivant :
« Le roi étant informé des représentations adressées tant par les
fabricans que par les marchands de papier, imprimeurs & libraires
de la plupart des principales villes du royaume, que nonobstant la
quantité de vieux linges, Chiffons, vieux drapeaux , pattes , rognures
de peaux & de parchemin, & autres matières propres à la
fabrication du papier & à la formation de la colle que produit la
France, les fabriques de papier sont en pénurie de ces matières, qui de
jour en jour augmentent considérablement de prix : que cette pénurie
est au point que plusieurs moulins sont totalement abandonnés, d'autres
près de l'être, & tous les autres en langueur ; que ce mal vient de
la grande
exportation qui se fait desdites matières à l'étranger, en fraude des
droits exclusifs imposés à la sortie du royaume : que cette exportation
est facilitée par le transport par mer : qu'au lieu & sous prétexte
de les porter d’une province à une autre du royaume, on les porte à
l’étranger & qu’on suppose par des déclarations faites aux
amirautés, avoir été forcé par des coups de vents & des gros temps,
de les jeter à la mer : que la discussion de ces déclarations devant
les tribunaux ordinaires, & la longueur des procédures, qui presque
toujours sont abandonnées, rendent la fraude impunie & le fraudeur
plus hardi. Sa majesté s’étant fait représenter les arrêts rendus en
son conseil les 18 mai 1697 & 4mars 1717, par lesquels la sortie
desdites matières hors du royaume auroit été défendue sous peine de
confiscation & de trois mille livres d'amende ; l'arrêt du 8 mars
1733 , qui auroit converti la prohibition en un droit de sortie de
trente livres par quintal ; celui du 6 mai 1738 , par lequel il auroit
été statué sur ce qui regarde les ports de Marseille & Dunkerque ;
celui du 30 octobre 1741, qui auroit ordonné la perception dudit droit
de trente livres sur lesdites matières transportées du royaume à
Bayonne, celui du 17 septembre 1743, qui auroit défendu les magasins
& entrepôts desdites matières dans aucuns lieux des côtes maritimes
de la basse Normandie, & le transport autrement que par terre dens
l'étendue de ladite généralité ; celui du 10 septembre 1746 , qui
auroit permis la libre circulation dans le royaume, en payant les
droits ; celui du 11 décembre 1750, auroit fixé à six livres du cent
pesant les droits de sortie des rognures de peaux destinées pour
l'étranger ; celui du 18 mars 1755 ,qui auroit étendu la défense des
magasins & entrepôts dans toutes les provinces du royaume, à quatre
lieues près des côtes maritimes & frontières : l'arrêt du 17
décembre 1766, qui auroit ordonné que le transport desdites matières
d’un port à un autre du royaume, ne pourroit être fait que sur des
bâtimens pontés, & du port au moins de vingt tonneaux, à peine de
payer le droit de trente livres par quintal , comme passant à
l'étranger. Et sa majesté voulant établir de nouvelles précautions pour
remédier à des abus aussi préjudiciables aux manufactures de papier,
désirant même leur procurer encore de nouveaux encouragemens propres à
faire fleurir une branche de commerce aussi interessante pour l'état.
Ouï le rapport du sieur abbé Terray , conseiller ordinaire au conseil
royal, contrôleur général des finances ; le roi étant en son conseil, a
ordonné & ordonne ce qui suit :
Article premier.
Les arrêts du conseil des 28 mai 1697 & 4 mars 1717 , seront
exécutés suivant leur forme & teneur ; en conséquence, fait sa
majesté très-expresses inhibitions & défenses de faire sortir, à
compter du jour de la publication du présent arrêt, tant par mer que
par terre hors du royaume à l'étranger, aucuns vieux linges, Chiffons,
vieux drapeaux, pattes, rognures de peaux & de parchemin, &
autres matières propres à la fabrication du papier & à la formation
de colle, à peine de confiscation desdites marchandises, navires,
barques, voitures, chevaux, et de trois mille livres d'amende, payable
par corps, qui ne pourra être remise ni modérée & dont le tiers
appartiendra au dénonciateur ; dérogeant à cet effet sa majesté aux
arrêts de son conseil des 8 mars 1733 , & 22 décembre 1750.
II.- Fait sa majesté pareilles défenses, & sous les mêmes peines,
de faire sortir aucunes desdites matières du royaume, par les villes de
Marseille, Bayonne, Dunkerque ; dérogeant pour ce qui concerne
Marseille, à l’arrêt du 6 mai 1738 & à celui du 30 octobre 1742
pour ce qui regarde Bayonne.
III.- Il ne pourra être établi aucune fabrique de papier dans les
quatre lieues frontières, soit de l'étranger, soit des villes
mentionnées en l'article précédent, tant par terre que des côtes
maritimes ; fit toutes celles qui pourroient y être établies seront
détruites pour être reportées plus avant dans l'intérieur du royaume ;
sauf néanmoins à être fait tel droit qu’il appartiendra sur les
représentations qui pourroient être faites.
IV.- Il ne pourra être fait, sous les mêmes peines, aucun transport,
magasin ni entrepôt desdites matières dans ladite étendue des quatre
lieues ; les chiffonniers & autres qui font métier de ramasser
lesdites matières, seront tenus lorsqu'ils en auront amassé la quantité
de cinquante livres pesant, de les transporter hors de ladite étendue
de quatre lieues, d’en faire déclaration au bureau des fermes le plus
prochain & d’y prendre acquit à caution pour en assurer la conduite
& la destination dans l’intérieur ; cette disposition pour les
quatre lieues aura lieu pour la Flandres & le Hainaut, comme pour
les autres provinces du royaume ; dérogeant à cet égard à l'arrêt du
premier mars 1712.
V.- Ordonne sa majesté aux cavaliers de maréchaussée & permet à
tous autres qui trouveroient lesdites matières sortant à l'étranger ,
ou transportées dans ladite étendue des quatre lieues frontières,
au-delà de ladite quantité de cinquante livres pesant, ou avec cette
quantité sans expédition du bureau des fermes, de les arrêter &
conduire au bureau le plus prochain pour y être dressé procès-verbal de
saisie à la requête de l’adjudicataire général des fermes , à l'effet
de faire condamner les contrevenans aux peines portées par l'article
premier ; & les deux tiers provenans desdites condamnations
prononcées, seront distribués à ceux qui auront fait l'arrêt des dites
matières.
VI.- Il ne pourra être fait aucun transport par terre desdites matières
, d'une province à une autre du royaume, en empruntant le passage de
l'étranger, non plus que celui des ports de Bayonne , Marseille &
Dunkerque, sous les peines portées par l'article premier.
VII.- Lesdites matières qui feront envoyées par mer d'une province à
une autre du royaume, ne pourront être embarquées & débarquées que
dans les ports ci-après dénommés ; savoir, en Picardie, dans les ports
de Boulogne & Calais ; en Normandie, dans les ports du Havre, Rouen
& Caen ; en Bretagne, dans ceux de Nantes & Saint-Malo ; en
Aunis, dans celui de la Rochelle ; en Guienne, dans celui de Bordeaux ;
en Languedoc, dans ceux d'Agde & Cette ; en Provence, dans celui de
Toulon. La défense des magasins & entrepôts portée par l'article 4,
n'aura pas lieu pour les ports ci-dessus dénommés, où lesdites matières
pourront être amassées & emmagasinées en quelque quantité qu'elles
puissent être, en faisant toutefois déclaration.
VIII.- Ceux qui voudront transporter lesdites matières par mer, d'une
province à une autre du royaume, par les ports indiqués par l'article
précédent, ne pourront en faire le transport qu'autant que le port du
déchargement sera un de ceux indiqués par l’article précédent & que
la destination desdites matières sera pour une fabrique à papier ; pour
en justifier ils présenteront au bureau des fermes du port de
l'enlèvement, un certificat de l'entrepreneur ou fabricant de la
papeterie du lieu de la destination, contenant la quantité des matières
qu'il fait venir & qu'elles font destinées pour sa papeterie : ce
certificat sera légalisé par le sieur intendant & commissaire
départi dans la province, ou par son subdélégué le plus prochain du
lieu de ladite fabrique ; ils certifieront la vérité des signatures de
ces certificats & en cas de fausseté desdits certificats ou de
signatures d'iceux , ils feront poursuivis & condamnés aux peines
portées par les règlemens.
IX.- Le transport par mer desdites matières ne sera permis que sur la
représentation du certificat prescrit par l'article précédent, lequel
certificat restera en dépôt avec la déclaration qui aura été faite au
bureau des fermes du port de l'enlèvement ; en conséquence, il sera
délivré acquit à caution pour assurer le débarquement dans le port
désigné, & l’arrivée dans le lieu de la fabrique ; cet acquit à
caution sera déchargé dans le port du débarquement, visé dans les
différens bureaux qui pourront se trouver par terre sur la route ,
depuis le port du débarquement jusqu'au lieu de la fabrique où le
fabricant de ladite papeterie donnera au dos son certificat
justificatif qu'il a reçu lesdites matières en même quantité ; à défaut
desquelles formalités la caution sera poursuivie & condamnée aux
peines portées par l'article premier.
X.- Il sera fait déclaration au bureau des fermes du port de
l'enlèvement, des quantités que l'on voudra embarquer si par la
vérification il se trouve un excédant au-dessus du dixième , cet
excédant sera saisi avec amende de trois mille livres ; si dans le port
d’arrivée où la vérification sera pareillement faite, il se trouve un
deficit, la valeur de ce deficit sera saisie & confisquée avec
pareille, amende de trois mille livres.
XI.- L’embarquement desdites matières ne pourra être fait que dans des
navires du port, au moins de cinquante tonneaux ; si au-lieu de
rapporter les acquits à caution déchargés, il est produit des
déclarations faites à quelques amirautés pour établir que le jet à la
mer desdites matières a été forcé par des coups de vents. & gros
temps, il ne sera fait aucun état desdites déclarations, & la
confiscation tant de la valeur desdites matières que du navire , agrêts
& apparaux, sera poursuivie & prononcée avec l'amende de trois
mille livres, à moins qu'il ne soit justifié de la perte réelle ou du
bris du navire.
XII.- Ordonne sa majesté qui l'avenir lesdites matières qui seront
transportées dans les différentes provinces de l'intérieur du royaume ,
seront exemptes à leur passage & circulation, de tous droits des
traites, tant d’entrée & de sortie des cinq grottes fermes ,
qu’autres locaux dans les provinces réputées étrangères.
XIII.- Veut sa majesté qu’à l'avenir celles desdites matières qui
seront apportées de l'étranger, ne payent pour tous droits uniformément
à l'entrée du royaume, que deux sous, par quintal ; elles pourront
entrer par tous ports & bureaux indistinctement : celles qui
entreront par les ports désignés par l'article 7, pourront y rester
& y être emmagasinées ; celles qui entreront par d'autres ports que
ceux désignés, ne pourront y être mises en magasin & seront
conduites desdits ports hors de l'étendue des quatre lieues des côtes
maritimes ; de même celles qui viendront par terre seront conduites
hors de l'étendue des quatre lieues frontières de l'étranger ; à
l'effet de quoi, pour en assurer le transport hors de la dite étendue ,
elles feront expédiées par acquit à caution.
XIV.- Ordonne sa majesté que toutes les contraventions concernant
lesdites matières seront à l'avenir portées devant les sieurs intendans
& commissaires départis dans les différentes provinces , que la
majesté a commis & commet pour les juger en première instance, sauf
l'appel au conseil ; leur attribuant à cet effet toute cour,
juridiction & connoissance & icelle interdisant à toutes
ses cours & autres juges.
XV.- Et sera le présent arrêt lu, publié & affiché par-tout ou
besoin sera. Fait au conseil d'état du roi, sa majesté y étant, tenu à
Compiègne le 21 août mil sept cens soixante onze.
Signe Phelypeaux.