Voyages aux forêts de la Magdeleine

Par l'abbé Auguste LAMBLOT, membre de la Société Linnéenne de Bordeaux 1843

Déjà le soleil de juillet commençait à dorer les montagnes de la côte, et Riorges nous offrait ses riants côteaux de vignes, ses prairies verdoyantes et ses nombreux ruisseaux. Le petit village de Beaulieu s’appelait autrefois Mont-Chotard (Bernard, histoire du Forez) et possédait un prieuré, dont les revenus étaient forts considérables. Bien des personnes de hautes familles vinrent terminer leur carrière dans cette communauté et la dotèrent richement.

En fouillant dans les archives de cette Maison, on trouva dans le registre des prébendes, le nom de Jean-Petit, curé de Roanne, qui par son mérite fut élevé à l’Evêché de Mende (1432). Son successeur à Roanne fut messire Etienne Thévenon.

La rivière de Renaison dont nous suivrons les bords assez loin en remontant son cours, répand dans les campagnes de Riorges la fertilité, l’abondance et la vie. Des moulins, des filatures de coton, entretiennent l'aisance et annoncent l'état de prospérité, auquel pourra parvenir ce lieu vivifié par le travail et l'industrie.

Riorges en latin selon les vieux titres de ce lieu s'appelait Locus Riorgiarum, comme s'il venait de Ritu Orgiarum, des anciennes cérémonies et sacrifices payens, que les Grecs dont la langue était familière aux Druides, nommaient ordinairement orgies du verbe .......... faire des sacrifices, célébrer des mystères (Delamure).

Riorges, autrefois, comme les campagnes qui avoisinnent Roanne, présentait un coup-d'oeil majestueux, par l'immense quantité d'arbres qui ornaient ce pays, et lui donnaient un aspect pittoresque. Aujourd'hui, notre contrée n'offre plus que de longues enceintes de murs. Quelque soient les succès qu'obtienne l'agriculture dans le Roannais, nous ne craignons point de dire, et c'est avec un sentiment pénible que nous l'avouons, jamais notre pays ne deviendra riant et agréable, si cette monomanie, ou plutôt cette fureur d'abattre et de détruire les arbres, subsiste toujours. Jadis ces nombreuses plantations procuraient des promenades délicieuses. On aimait à méditer à l'ombre de ces arbres séculaires, qui nous retraçaient les souvenirs du temps passé ; aujourd'hui ils sont tombés sous les coups de la hâche : les haies disparaissent peu à peu. Des murs s'élèvent de toutes parts pour clore les terres, et les campagnes roannaises sont devenues tristes et d’une nudité désolante.

Riorges présente à notre vue plusieurs plantes remarquables réparties, surtout, sur les bords de la rivière de Renaison : Enula campana, Regina prati, Saponaria officinalis, Scrophuluaria nodosa ; le Solanum dulca mara, grimpait de tous côtés. Mentha piperita, Mentha crispa, Glechoma hederacea, Triticum repens, Eupatorium canabinum.

Nous ne craignons point de nous étendre et d’ennuyer nos lecteurs, par la nomenclature des plantes que nous rencontrons dans notre voyage, et qui gissent inaperçues sous les pas du vulgaire. Car c’est aux amis de la science que nous nous adressons, ils connaissent déjà la satisfaction que fait éprouver l’étude de la nature ; elle est pour nous une source perpétuelle de lumières et de jouissances. L’étude de la nature, contribue à notre bonheur dans tous les âges et les positions de la vie. Elle est un plaisir inexprimable pour la jeunesse ; l’homme mûr y trouve un charme toujours nouveau, elle vient le délasser au milieu de ses embarras et de ses ennuis ; et le vieillard en forme la couronne de ses cheveux blancs et se console par elle des ravages du temps. L’étude de la nature, nous rend meilleurs, plus heureux. “Non, après la vertu, nous dit un célèbre naturaliste (Lacépède), rien ne peut nous conduire plus sûrement à la félicité que l’amour des sciences naturelles”. Comment, en effet ne serait-il pas vertueux, celui qui passe son temps à contempler ces admirables productions de la nature où paraissent si sensiblement la bonté et la toute-puissance de Dieu (Ciceron)

La Providence, n’en doutons pas, a placé dans les plantes des moyens de guérison que notre ignorance ou notre mépris nous font méconnaitre. C’est bien à tort que la médecine ait presque abandonné l’usage des plantes dans le traitement des maladies qui affligent l’homme, pour se borner à celui des minéraux. Nous trouvons et l’expérience nous l’apprend, des vertus bien précieuses dans une infinité de végétaux ; qui connait en effet la bienfaisance du sureau, de la mauve, de la douce-amère, du choux de nos jardins potagers, etc..... mais l’empirisme, le charlatanisme, et la nouveauté des systèmes, ne veulent point des médicaments mis à la portée de tous les hommes. Nous n’étendrons pas plus loin ces considérations il nous serait facile de prouver qu’il est dans certaines localités, malgré ce qu’en disent beaucoup de médecins, des hommes bienfaisants, qui sans être docteurs, s’occupent gratuitement du soulagement de leurs frères, et réussissent très-bien par le seul des végétaux.

A notre gauche, nous découvrons les bois de la Fouillouse, où chaque année au mois d’août, une fête de village, réunit quelques personnes. Autrefois, cette frérie se tenait au bourg de Riorges, protégée par l’ombre des arbres qui ornaient si bien cet endroit : cette fête parait fort ancienne et date du paganisme ; les empires se détruisent, la société se renouvelle, et cependant les coutumes des lieux se transmettent d’âge en âge.

Ouches, petite commune isolée et solitaire, n’offre qu’un vieux château dont il ne reste plus que quelques créneaux que la pluie et les vents insultent : image bien frappante du sort réservé aux grandeurs déchues. Les fossées sont comblés et la petite église se trouve entourée d’arbres, et retirée à l’écart dans l’obscurité. Il est peu de sites aussi pittoresques et aussi tranquilles que celui d’Ouches : il a conservé une grande partie de ses plantations d’arbres. Traversé par mille ruisseaux qui l’arrosent et le quittent à regret, il nous présente l’asile de la paix et du bonheur champêtre ; c’est bien dans ce coin de terre que l’on peut couler quelques jours heureux, loin du commerce des hommes, de leur prétendue grandeur et de leurs chétives passions. “Tout ce qui frappe nos regards dans les cités, nous parle des hommes, de leurs injustices, de leurs crimes, de leurs misères ; leurs palais sont l’asile de la bassesse, et leurs arcs de triomphe des souvenirs glorieux de leurs forfaits. Au contraire, tout ce qui nous environne dans les campagnes, nous invite à la vertu et nous révèle une Providence. Il me semble, en contemplant la nature, qu’il n’y ait jamais eu de crimes dans le monde. Dans les palais, il ne faut qu’un petit chagrin pour empoisonner la félicité des riches ; aux champs, il ne faut qu’un petit bonheur pour consoler les infortunés, la terre leur prodigue ses dons, le pauvre y peut faire le bien, et là seulement, le sage sait apprécier sa grandeur et sa faiblesse.” (L. Aimée Martin)

Ouches se recommande encore par ses fontaines minérales d’Origny, ces eaux sulfureuses qui conviennent très-bien aux maladies cutanées ; leur proximité de Roanne, les aisances du lieu, tout contribue à procurer aux buveurs d’eau, la santé avec l’agrément. Cette source paraît dériver de celles de Saint-Alban, hameau de Saint-André d’Apchon, dont les eaux jouissent des mêmes propriétés, et sont mêmes beaucoup plus actives. L’affluence des malades est plus considérables à Saint-Alban qu’à Origny ; c’est peut-être l’état d’ébullition des eaux de Saint-Alban, qu’on doit la grande confiance dont elles jouissent ; on y compte quelquefois, dans la saison des eaux, jusqu’à 400 buveurs.

Sur la route de Roanne à Saint-Alban, presque vis-à-vis Saint-Léger, on voyait, il y a quelques années, un énorme bloc de pierre, qu’une tradition populaire rapporte avoir été jeté dans ce lieu par le diable, qui ne put le lancer des montagnes jusque sur Roanne, qu’il voulait écraser. Aussi cette pierre portait-elle le nom de Palet du diable. Ce devait être probablement un monument druidique.

Saint-Léger, village bâti sur le bord de la rivière de Renaison, n’offre rien de remarquable.

La nature de son terrain, dans beaucoup d’endroits, paraît assez répondre à son nom. A l’extérieur des murs de l’église, on aperçoit quelques crânes humains, ou boîtes osseuses, qu’on y avait placés. Cette bizzarerie ne peut s’expliquer facilement. En effet, quel but s’est-on proposé, en exposant ainsi aux regards du public, des os que le respect pour ceux qui nous ont précédé dans la tombe, commande de ne point exhumer ? Etait-ce peut-être pour fortifier parmi les gens des campagnes, la croyance aux revenants, spectres et apparitions.

C’est un spectacle bien frappant pour l’homme qui pense, que celui de la chaîne de ces idées grossières et superstitieuses. Il fut un temps, et cela existe encore dans bien des localités, en France, où des préjugés dominaient les esprits ; chacun à l’envi racontait, comment un tel, ou une telle, morts, leur était apparu en gémissant, comment il était revêtu d’un linceul, répandre l’effroi et la consternation, et s’était enfui dans le bois voisin. Un autre faisait de longues histoires sur les sorciers et les meneurs de loups, qui, disait-il, avaient beaucoup d’empire sur les troupeaux, et pouvaient, à leur gré, accabler de malheurs une famille entière. Efforçons-nous de faire disparaître ces vaines terreurs, ces fausses craintes, qui portent leur funeste fruit, dans un âge plus avancé. L’homme vertueux, l’homme qui voit Dieu partout n’a rien à redouter ; il peut voyager avec autant de sécurité la nuit que le jour, les puissances des ténèbres ne l’atteindront jamais.

Pouilly-les Nonnains, est construit un peu en amphithéatre ; sa situation est des plus charmantes ; de vastes prairies bordent et environnent la rivière de Renaison. La vigne surtout dans la plaine, y est très-fertile et produit d’excellent vin. Les campagnes de Pouilly abondent en froment, seigle, avoine et orge, et produisent du colza (Brassica campestris). La pomme de terre se plaît dans ces terrains.

Les plantes que nous offre Saint-Léger et Pouilly, sont assez nombreuses ; nous les nommerons toujours en latin ; elles sont mieux désignées pour les personnes qui s’occupent de Botanique.

Anemone pratensis, Tanacetum vulgar, Fumaria officinalis, le Tussilago farfara (ou pas d’âne) paraissait encore dans quelques champs. Les Lichnis et le Giroflées apparaissaient de toutes parts.

L’Arctium lappa, croissait le long de notre route, et en bien des endroits ; Primula elatior, Senecio viscosus, Agrimonia officinarum, Artemisia vulgaris, Anchusa, Scordium ; le Berberis vulgaris ou Epine-Vinette traversait bien des haies. Rumex patientia ; la Clématite se faisait remarquer dans certains lieux. C’est avec les feuilles pilées du Clematis vitalba, que les mendiants se font naître des ulcères aux jambes, pour exploiter la commisération publique. De là, le nom d’herbe-au-gueux, qui lui a été donné.

Sonchus oleraceus, Marrubium vulgare, le Centaurea Cyanus ou Bleuet, ainsi que le coquelicot Papaver rhoeas (Lin.) étalaient de tous côtés leurs fleurs charmantes. Le Mélilot doré balançait mollement ses épis de fleurs sur les bords de la rivière.

A la droite de Pouilly, à un kilomètre de la route de Renaison, apparait le vieux château de Saint-Martin-de-Boisy. Ce fut le seigneur Guillaume Gouffier, qui le fit bâtir l’an 1453. Le cardinal Adrien de Gouffier, surnommé de Boisy, y vint au monde, selon les mémoires de ce temps (1479). Ses talents et ses vertus l’élevèrent à l’épiscopat. Le pape Léon X, le fit ensuite son légat en France, sous le nom de cardinal de Sainte-Sabine (Delamure). La construction du château de Saint-Martin-de-Boisy est gothique : quatre tours, dont une de forme carrée, le soutenaient autrefois et annonçaient sa force ; il n’en subsiste plus que deux, une ronde et la carrée. Cette dernière conserve encore des cachots souterrains. On voit les fossées qui défendaient la demeure du Suzerain,

Les anciens châtelains de Saint-Martin-de-Boisy, vivaient dans l’opulence, et ils étaient tellement riches, que l’un d’entr’eux, eut la hardiesse, d’écrire au roi de France, qu’il pouvait faire ses affaires, que lui-même ferait les siennes. La fable du Pot de terre et du Pot de fer, nous apprend que nous ne devons point lutter avec ceux qui ont sur nous supériorité de grandeur et de fortune. Aussi, le Roi de France fut outragé de cette effronterie, qu’il envoya des troupes pour soumettre le Seigneur insolent. Ce dernier surpris à l’improviste, s’enfonça dans un de ses souterrains, où il resta longtemps consterné et abattu de frayeur. Oublions les temps de la féodalité, et hâtons-nous d’arriver à Saint-André d’Apchon, sur cette heureuse côte, où la vigne prodigue ses grappes magnifiques au voyageur étonné. C’est ici qu’elle déploie toute la beauté de sa végétation.

Le bourg de Saint-André est très riant ; une allée de superbes tilleuls borde un étang que l’on rencontre à son entrée. Il subsiste encore aujourd’hui une grande partie de l’ancien château de Saint-André. L’époque de sa construction se perd dans la nuit des siècles ; cependant d’après de bons témoignages, elle date de mille ans. Ce fut Jean d’Albon qui le fit bâtir. Aux quatre angles s’élevaient des tours, dont les corniches sont à modillon. Les deux ailes de ce château qui n’existent plus étaient portées sur des arcades. On aperçoit encore sur les façades des portraits en pierres représentant les unes, des rois de France, les autres des Généraux romains ; une des anciennes portes d’entrée subsiste. On y voit scuptées en relief plusieurs figures d’animaux, en honneur sous le paganisme. Le colombier qui se trouve dans un angle du jardin a été restauré, il conserve cependant sa forme primitive. Le dernier maître et seigneur du château de Saint-André était le Marquis de Saint-Georges, homme doux et bienfaisant : il était très-aimé dans le pays. Lorsqu’éclata la Révolution française de 93, ses concitoyens le choisirent d’un consentement unanime pour commander leur garde nationale. Chaque réunion était pour eux des jours de fête, leur chef les conviait à sa table et les traitait avec la plus grande cordialité. Un jour, jour mémorable pendant que les gardes nationaux de Saint-André portaient un toast à la santé de leur colonel, on annonça au Marquis l’arrivée de son cousin, le chevalier d’Apchon ; il se leva précipitamment et courut au devant de lui : “Nous sommes tous perdus lui cria, en entrant, le chevalier : la Bastille vient d’être prise d’assaut”. A cette nouvelle, le marquis se sentit défaillir ; son homme de confiance et le chevalier le conduisirent dans son appartement. Depuis ce moment, la santé de M. de St-Georges déclina de plus en plus ; il mourut à Saint-André le 15 novembre de l’année de la prise de la Bastille.

Un des oncles de ce Seigneur fut Archevêque de Lyon. En 1013, Gilles d’Albon, épousa une demoiselle Lespinasse. Il eut quatre fils. L’un d’eux nommé Guichard d’Albon, fut élu généralissime des armées. Ce fut Jean d’Albon, son fils, qui fit restaurer le château de Saint-André. Il fit ensuite bâtir l’église de cet endroit. Elle fut commencée en 1522 et ne fut achevée qu’en 1532, dix ans après. On y célébra la Messe le lendemain de la Fête-Dieu et depuis, ce jour fut fixé jusqu’à la révolution de 93 pour l’anniversaire de la dédicace de cette église. Le fils de Jean d’Albon était appelé Maréchal de Saint-André ; vaillant soldat, il fut tué à la bataille de Dreux. Un des seigneurs d’Apchon épousa la soeur de ce maréchal et c’est ainsi que les d’Apchon devinrent propriétaires du château de Saint-André.

Les environs de Saint-André nous présentent les plantes suivantes : l’Hypericum perforatum, le Galeobdolon luteum, Melissa officinalis, le Teucrium, Viola carina, le Ranunculus bulbosus, le Lamium purpureum, Lamium album, Ranunculus pratensis ; sur le bord de plusieurs ruisseaux, Sisymbrium masturtium (Lin.) Gloma haederacea , Genista tinctoria, Pulmonaria officinales, Fumaria officinarum, Thlaspicum perfiolatum, Anthilis vulner.........., Potentilla anserina, Artemisia vulgaris, le .................nthes trifoliata, croissait aux environs d’un étang ainsi que le Calthar palustris, Genista scoparia, Primula elatior, Primula grandiflora, Malva rotundifolia, Sambucus racemosa, trifolium, eley........, Carydalis bulbosa, Mercurialis annua (Lin.) Centaurea cyanus, Marrubium vulgare. La Matricaria chamomilla poussait à l’entour du château de St-André

Nous entrons dans les gorges des montagnes : ici la route devient tortueuse et escarpée, il faut monter beaucoup et longtemps, gravir un chemin rocailleux, où l’on est exposé à chaque instant à se rompre le cou. Enfin nous sommes à Arcon, village éloigné de deux kilomètres de Saint-André. A l’entrée de ce bourg on rencontre deux superbes tilleuls qui ombragent une croix. Ce village paraît fort triste. Une dizaine d’habitations le composent.

Cependant le vert des prairies, les châtaigniers, le gris étincelant des rochers granitiques, tout cela forme un ensemble qui ravit l’admirateur de cette nature sauvage. On rencontre çà et là quelques Dianthus carthusianorum, la Digitale pourprée. Le papillon se joue dans les airs ; nous avons rencontré l’Aurore, le Nacré, le Macao et en sortant de Saint-André, le Sphinx des vignes attirait nos regards. Poursuivons notre route ; la montagne devient plus rapide et les murailles de rochers beaucoup plus escarpées ; il semble que ces monts majestueux se lèvent ensemble, se hissent les uns sur les autres, pour regarder dans la plaine et jeter un coup-d’oeil de mépris sur l’humble vallée. Cependant les sentiers deviennent impraticables, l’air plus vif, nous sommes à la montagne de la Magdeleine ! ...... Arrivés sur le plateau, oh! que nous fûmes dédommagés de nos peines et de nos fatigues par l’imposant spectacle qui s’offrit à nous. Quelles sublimes perspectives de tous côtés, quelle variété perpétuelle de tableaux ; la plaine Roannaise se déroulait toute entière sous nos pieds, la Loire la traversant par mille détours. Des prés, des bois, de noires forêts de sapins, des rochers gigantesques dressés en pyramides, des pics aigus, divisés par la foudre, les ruines de quelques cabanes, tout parle à l’homme qui réfléchit. Ici les fontaines sont pures, ici l’homme est fort et majestueux ; il est grand comme ces rochers : rien ne trouble le silence de ces lieux que le vol rapide de l’oiseau ou le bruit des cascades qui tombent des montagnes. Il semble que tout est là. Il faut quitter les hommes pour trouver Dieu dans le désert vide, il n’y a que lui. Pénétrons dans l’épaisseur de la forêt.

Autrefois il existait une antique chapelle dédiée à sainte Madeleine ; depuis bien des années elle est détruite. Un vieil ermite habita jadis dans ces lieux : homme vertueux, séparé du monde dont il avait connu la vanité et les illusions trompeuses ; compâtissant, il sut par sa grande charité et son extrème douceur captiver la confiance des montagnards. De très loin, on venait chercher des conseils auprès de lui. Menant dans le désert une vie angélique, il passait son temps à la prière et au soulagement de ses frères. Souvent on l’apercevait se rendant à la chaumière de quelques malheureux. Son air de sérénité montrait la félicité qui régnait dans son âme. Une année, un orage épouvantable fondit sur la montagne et le vertueux vieillard accourut chercher un asile dans la chapelle de sainte Madeleine. On ne l’en vit plus sortir ; seulement, lorsque la nuit eut répandu ses voiles sombres sur la terre, on vit briller dans la sainte chapelle une clarté admirable comme une auréole de gloire. Pendant plusieurs années à la même époque, on vit la même chose se renouveler. La chapelle a été détruite et tout a disparu. Les bois de la Magdeleine appartenaient jadis au château de Saint-André. Ce sont des sapins et des hêtres de haute futaie. Ces arbres majestueux et séculaires ont bien souvent bravé l’impétuosité et la fureur des vents. L’orage a souvent fait plier leurs cîmes orgueilleuses ; quel plaisir pour nous d’admirer cet océan de feuillages, cette immense étendue d’arbres. Nous comparions de nouveau les pays boisés avec ceux qui sont découverts et de nouveau nous nous étonnions qu’on put se décider à détruire les arbres : leur utilité est incontestable.

Les arbres qui couronnent les hautes montagnes peuvent bien être considérés comme le centre de la circulation des eaux dans la nature. Ils attirent de toutes parts les nuages. Ceux-ci s’amoncellent et ne tardent pas à se précipiter en torrens qui vont former les fleuves, les rivières et alimenter les mers, d’où ils sont de nouveau pompés par le soleil et reformés en nuages. Ce sont les arbres qui nous fournissent les matériaux de nos habitations, de nos roues et de mille choses dont le besoin se fait sentir à chaque instant dans la vie. Partout où ils manquent, la terre est frappée de stérilité, les plantes languissent, brûlées par les ardeurs du soleil, et desséchées, parce que les pluie deviennent rares ; c’est de l’immense avantage qui résulte de la présence des arbres, qu’est venu le culte qu’on leur rendait chez les anciens. Le chêne dans les Gaules était particulièrement honoré. A Dodone, il passait pour rendre des oracles. Aujourd’hui même, les arbres sont un objet de vénération dans plusieurs contrées de l’Orient, et on y regarde comme impie, celui qui en abattrait un situé dans le voisinage d’une habitation. Nous répugnons nous-mêmes, à détruire les vieux arbres que le temps a épargnés. Ce sont autant de monuments qui déposent des ans qui se sont écoulés, nous retracent les souvenirs de notre jeunesse, et nous font assister aux événements, dont la succession a rempli le cours de notre vie (Brierre et Pothier, Eléments de Botanique)

Mais pourquoi nous étendre davantage car l’utilité des arbres, et sur le plaisir indicible que nous fait éprouver leur présence. Les hommes ambitieux, ne consultent que leurs intérêts, et sacrifient les beautés de la nature à leur avarice insasiable ; aussi ne sommes-nous plus étonnés de voir détruire les arbres. L’amour des richesses gagne tous les coeurs, le désintéressement est une vertu bien rare, l’égoisme a fixé son empire sur la terre, la bonne foi et la véritable amitié en sont bannies, il ne coûte plus à l’homme maintenant de rechercher les honneurs et la fortune, par les voies illicites. Ce n’est pas aujourd’hui, le mérite, la vertu et les talents que l’on encense, mais bien, les grandeurs et l’opulence. Oh ! que les temps sont changés, que nous sommes loin des jours ou la probité, l’honneur et le désinteressement fesaient les délices de nos pères. Nous sommes bien insensés, de courir ainsi après un vain fantôme de fortune. C’est une fumée qui se dissipe en un clin-d’oeil, semblable à ces vapeurs humides que le soleil fait disparaître aussitôt. Nous achetons bien souvent, la considération des hommes aux dépens de notre repos et de notre bonheur ; nous préférons nous assujétir aux exigences du siècle, plutôt que de garder, dans la médiocrité, une heureuse et tranquille indépendance. La flatterie, l’intrigue, l’hypocrisie, voilà les moyens dont on se sert pour parvenir aux emplois et aux honneurs. Ne prodiguons jamais notre .......... pour les riches et les grands de ce monde, à la face changeante, à moins que leurs vertus, ne commandent notre estime ; réservons notre admiration et soyons pleins d’enthousiasme pour l’homme de probité, pour l’homme chrétien, pour celui qui consacre ses jours au bonheur de ses frères, et qui ne voit en eux, que des compagnons de voyage, naviguant ensemble dans une barque fragile sur l’océan qui couvre l’éternité !

Ces pensées qui agitaient mon esprit dans les forêts de la Magdeleine, me sont revenues plus graves et plus majestueuses lorsque quelques temps après, il m’a été donné de voyager sur la mer. Abandonné sur un esquif léger, au milieu de l’océan sauvage, rien ne me parlait plus éloquemment de la puissance de Dieu, de sa providence, que la vue des flots. Je me rappelais les beaux passages de l’Itinéraire de l’illustre M. de Chateaubriand, lorsqu’il nous dépeint le Dieu du ciel et de l’abime, si grand et si admirable dans l’ouvrage de ses mains. J’associais mes sentiments, à ceux du grand génie littéraire de la France, avec d’autant plus de vérité, que j’avais le même spectacle sous les yeux, et que j’étais encore sous l’influence des émotions qu’avaient produit en moi, deux lettres, dont M. de Chateaubriand a bien voulu m’honorer ; je les conserve comme un souvenir précieux de la bienveillance de ce grand homme. De retour sur le rivage, assis sous des tamaris battus des vents, je faisais des réflexions sur les agitations de la vie ; sur les mouvements, les peines que nous nous donnons, jusqu’à la tombe qui nous attend.

Je n’oublierai jamais la promenade que je fis sur les bords de la mer : ces vagues soulevées, ces montagnes d’eau, ces vents déchaînés et furieux, ces barques de pécheurs, ces navires voguant à pleines voiles ; dans tout, je reconnaissais l’image du monde.

Les forêts de la Magdeleine ont servi, sous les Gaulois, de retraite et d’asile aux Druides. C’est en effet à l’ombre des vieux arbres, et dans les lieux solitaires et obscurs, que les Prêtres druidiques de ces payens faisaient leurs sacrifices. Leurs cérémonies étaient enveloppées d’un voile mystérieux ; l’entrée en était défendue au vulgaire ; les objets les plus ridicules, une pierre brute étaient pour eux des divinités vers lesquelles le peuple s’approchait qu’en tremblant ; et un étranger qui aurait osé pénètrer dans l’enceinte des lieux consacrés aux sacrifices, s’exposait aux plus grands dangers.

Dans l’intérieur du bois, nous avons remarqué les plantes suivantes : Geranium robertinum, Anthemis montana, Stellaria holostes, Helleborus fetidus, scabiosa succisa, (Lin.) Saxifraga nemorosa, Ruscus aculeatus, Genista pilosa, Lamium album, Cicuta fetida, Galanthus ; le castanea et le coudrier se faisaient voir à l’entrée du bois.

Nous ne prétendons point signaler ici, toutes les plantes qui enrichissent ces contrées ; nous ne nommons que les plus remarquables. Il serait à désirer, que tous les végétaux de ces lieux, comme ceux du département de la Loire, fussent décrits. Déjà, dans plusieurs parties de la France, des hommes instruits ont tracé un tableau des plantes de leur pays. Le nôtre est en arrière. Beaucoup de personnes amies des Sciences Naturelles, attendent et désirent avec impatience, une Flore du département de la Loire. L’homme est le fils de ses oeuvres, nous dit un écrivain distingué : la jeunesse doit donc sentir le prix de l’étude et la nécessité de se livrer aux sciences naturelles, plus tard, elle connaîtra que le bonheur est dans la vertu qui aime, et dans la science qui éclaire ; ce sont les paroles de Lacépède, lorsqu’il encourageait ses élèves à l’étude des sciences. Nous exhortons beaucoup les jeunes gens à étudier la botanique, à contempler la magnificence avec laquelle Dieu s’est plu d’enrichir la nature, et nous terminons notre exhortation, par le passage d’un botaniste distingué (M. Brierre) : La science de la botanique, indispensable dans un grand nombre de cas, est encore pleine d’agréments lorsqu’on envisage sous le rapport des beaux phénomènes de la végétation ; son étude est presque associée à notre existence. Dès nos jeunes années, les fleurs sont pour nous une source de jouissances continuelles ; dans un âge plus avancé, leur culture nous procure de nouveaux plaisirs, elles se rattachent aux principales époques de notre vie, et lorsque nous descendons dans la tombe, elles semblent nous rérober aux regards des indifférents.

Mais quittons ces montagnes et retournons dans la plaine, où nous attendent encore des traditions historiques.

Le village des Noés, n’offre rien de remarquable ; placé sur le penchant des montagnes, il est arrosé par la rivière de Renaison, qui répand partout la fraicheur et la vie. Ce ruisseau donne son nom à un village éloigné de deux kilomètres des Noés.

Renaison était autrefois entouré de murailles : des prêtres réguliers administraient la paroisse. C’est une des localités de la côte qui produit d’excellent vins ; cet endroit ne présente rien d’intéressant. Lorsque les eaux sont fortes, plusieurs papéteries établies le long de la rivière sont en activité et occupent un nombre considérable d’ouvriers. En suivant notre itinéraire, nous arrivons à Saint-Haon le Châtel, chef-lieu de canton. Si l’on en croit certaines traditions, Saint-Haon-le-Châtel fut autrefois une ville importante, et le bourg d'aujourd'hui était entièrement la demeure des Comtes du Forez. De vieilles tours délabrées, d'anciens monuments romains attestent que cette ville était fortifiée; on voit encore deux portes de la ville d'une construction fort solide. Et parcourant le village, nous avons lu sur l'entrée d’une ancienne habitation, ce verset de l’évangile de saint Matthieu, conçu on latin et exprimé en caractères celtiques

Estote prudentes sicut serpentes,
Et simplices sicut columboe

Dans l'église qui est bâtie à la moderne, nous avons remarqué sur la porte qui conduit au cimetière cette sentence en vers burlesques :

Par où tu passes, j’ai passé,
Par où j’ai passé tu passeras
Comme toi au monde j’ai été
Et comme moi, mort tu seras

La position de Saint-Haon-le-Châtel est pittoresque ; elle domine toute la plaine: Six ifs d'une grosseur remarquable, plantés sur une terrasse, ont attiré notre attention. Saint-Haon a donné le jour à un cardinal, dont on ignore le nom ; il fut évêque d’Amiens, chancelier et premier ministre de Charles V.

Du temps que les seigneurs de Saint-Martin de Boisy et de Saint-Haon se faisaient la guerre, François 1° voulant s’assurer du dévouement de ses sujets, vint à Saint-Haon le Châtel ; il y coucha et le lendemain avant son départ, il exigea le serment de fidélité du seigneur et de ses vassaux. Les annales du temps passé, nous apprennent qu’en 1007, une peste affreuse décima la population de Saint-Haon. Une autre épidémie en 1774, enleva 300 personnes en peu de jours

Avant de quitter Saint-Haon, il est à propos de rappeler ici, un combat terrible , qui eut lieu entre les Français et les Anglais, dans la plaine des Egaux, située entre Saint-Martin-de-Boisy et Saint-Haon le Châtel.

Les Anglais avides de possessions, voulurent soumettre plusieurs provinces de France et les assujettir à leur domination ; à force de ruses et d’intrigues, ils parvinrent jusque dans le Forez, et répandirent partout l'effroi et la consternation. Cette époque ne laisse que des souvenirs de malheurs. Les troupes combattirent de part et d'autre, avec un égal acharnement, et les deux puissances ne purent triompher l'une de l'autre ; la bataille fut ainsi terminée, et pour en perpétuer la mémoire, on placa dans cet endroit une pierre carrée, ayant sur les quatre faces une croix taillée en relief. Le lieu du champ de bataille, fut nommé plaine des Egaux, ce qui signifie, qu'il y eut égalité de toutes parts. La paix fut conclue et chacun retourna dans son pays.

Saint-Haon-le-Vieux dépendait autrefois de Saint-Haon le Châtel ; il n’est renommé que par la bonne qualité de ses vins. Ambierle n'offre rien de particulier, qu'un aucien couvent, construit au 9me siècle. Il existait autrefois dans ce bourg, une chapelle dite de Pierre Fite ; on y enterrait les seigneurs de ce lieu. Jean Delagrange, évêque d'Amiens, puis cardinal à Rome, ministre souss Charles V, naquit à Ambierle. Dans tous ces lieux, on trouve des traces de la domination romaine.

Depuis Renaison jusqu'au bas d'Ambierle , nous avons reconnu les plantes suivantes : Mentha piperita, Fumaria officinalis, Hypericum perforatum, Solanum dulca mara, Trifolium rubrum, Arthemisia campestris, Marrubium vulgare, Anemone pratensis, Tanacetum vulgare, Melilotus trifoliatus, Viola canina, Viola multi color sylvestris.

Il est temps de retourner dans nos foyers, et de nous délasser de nos fatigues, la chaleur se fait vivement sentir ; allons reposer notre âme des sensations, qu'elle a éprouvées dans ce court voyage. Ce serait avec un grand plaisir que nous visiterions de nouveau ces lieux pittoresques et charmants. Nous aimerions encore à contempler avec délices, ces forêts superbes et majestueuses, ces solitudes profondes, où nous nous reporterons souvent en esprit. Les sublimes leçons que la nature nous donne en nous prodigant ses beautés nous apprennent à nous élever jusqu’à son auteur.

Mais notre voyage est achevé, nous voici à Germain-Lespinasse, village placé sur la route de Lyon à Paris ; encore un myriamètre et nous aurons revu les clochers de l’antique Rhodumne.

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