Louis Blettery (8 novembre 1893 - 15 septembre 1914)
Louis
Blettery était né à Paris le 8
novembre 1893. Fils de Blanche Avignon, il fut reconnu par son
père Louis Blettery au moment de son mariage avec Blanche
Avignon le 13 mai 1901 à la mairie du 14°
arrondissement à Paris.
Alors qu'il devait avoir 5 à 6 ans, son père le
photographia devant un livre ouvert, un jouet composé d'un
âne se cabrant devant une cariole monté par un
petit personnage à côté de lui.
Curieusement, cette
photographie parut dans un livre édité chez
Hachette en 1982 sous le titre "chefs d'oeuvre de la photographie
anonyme du 19° siècle". Que ce morceau de site
internet permette d'effacer cet anonymat.
Très jeune, Louis Blettery fut mis en apprentissage pour lui
faire apprendre le métier de cuisinier. En 1912, il
travaillait à Mantes-la-Jolie.
Puis devenu cuisinier confirmé, il décida de
s’expatrier. Aux dires de Papa, Louis aurait eu le choix
entre une place de cuisinier à New-York aux Etats-Unis ou
à Madrid.
Il opta pour le Palace Hotel à Madrid, choix qui fut plus
tard amèrement regretté par son père
car si il avait choisi New-york, il n’aurait pas pu
être de retour suffisamment à temps pour
participer aux premiers combats qui le virent disparaître
devant Craonne.
Le 26 octobre 1913, il envoyait une carte postale à son frère Charles pour lui annoncer qu’il allait prochainement quitter Madrid. Le temps était venu pour lui, de faire son service militaire. Cette carte postale était illustrée par une photographie représentant toute la brigade de cuisine du Palace Hotel. On le voit au troisième rang sur la droite. Il a marqué sa présence d’une flèche.
Et voici ce qu'il écrivait à son frère Charles :
I l fut donc appelé à l’automne 1913 et affecté au 49° régiment d’infanterie, alors stationné à Bayonne. Il expédia le 19 décembre 1913 une carte à sa famille l’informant qu’il aurait une permission du 31 décembre au 4 janvier. Sur cette carte, on le voit en compagnie des autres soldats de sa section. (troisième en partant de la droite, au premier rang)
Au régiment, comme dans la vie civile, il avait l’habitude d’envoyer chaque semaine une carte postale à son père ou à ses frères. L’une d’elles nous révèle qu’il “ferait un joli soldat avec son 1m59 de taille”. Une autre indique qu’il monta la garde pour la première fois le premier juillet 1914 et qu’il en fut très fier.
La guerre est déclarée
Le 28 juin l’attentat
de Sarajevo avait lieu, attentat qui par le jeu des alliances, allait
déclancher la guerre.
Une des dernieres lettres de Louis, datée du premier
août et adressée à sa cousine Jeanne,
lui annonçait que le matin même, les officiers les
avaient averti de la gravité de la situation. En
post-scriptum, il ajoutait qu’à 14h on leur avait
annonçé que la guerre était
déclarée et que le régiment devait
quitter sa caserne et rejoindre le camp de Maracq, près de
Bayonne pour laisser la place aux réservistes.
Le vendredi 7 août au matin, son régiment pris le
train en direction des frontières de l’Est.
L’itinéraire nous est connu grâce
à une carte-lettre qu’il envoya le 9
août à son père et dans laquelle il
décrit les diverses étapes de ce voyage :
Bordeaux, Angoulême, Tours, Poitiers,
Orléans-les-Aubrais où ils changèrent
de train, Montargis, Neufchâteau et Buligni (certainement
Bulligny en Meurthe-et-Moselle), où ils descendirent bien
fatigués.
Lorsqu’il écrivit cette carte, il venait
d’arriver à 6h du soir, dans un village de
Meurthe-et-Moselle du nom de Mont-le Vignoble près de Toul.
Ce fut le dernier mot de Louis que reçut la famille Blettery
.
La suite nous est connue grâce au livre du 49° R.I.
qui fut vraisemblablement écrit d’après
le journal de marche du régiment, tenu au jour le jour.
Pendant quelques jours, le régiment fit mouvement dans la
région de Toul. Le 12 il cantonna à Royaumeix, le
13 à Grosrouvres, le 16 à Lay-Saint-Remy.
Pendant ce temps là, plus à l’ouest,
les allemands, violant sa neutralité, avaient
attaqué la Belgique et dès le 6 août
assiègeaient la place-forte de Liège.
Commandée par le Général Leman,
Liège résista durant dix jours aux assauts des
allemands, retenant ainsi l’armée du
général Bülow. La forteresse tomba le 16
août. Cet obstacle éliminé,
l’armée ennemie, piquant droit au sud fit route en
direction de Charleroi. Le danger devenait mortel pour la France.
Aussi, pour défendre ce nouveau front,
l’Etat-major Allié dirigea en renfort vers la
Belgique la V° armée (Lanrezac) dont faisait partie
la 36° division d’infanterie et le 49°
régiment.
Le 20 août, le régiment cantonna à Hesrud, petite localité à 25 kms au nord de Fourmies, sur la route d’Avesnes à Beaumont.
Le 21 août, le régiment franchit la
frontière belge et arriva à Biesme-sur-Thuin,
Heulen et Gozée, c’est à dire sur la
ligne de la Sambre à 10 kms de Charleroi.
Quelles impressions les soldats français eurent ils
lorsqu’ils arrivèrent dans la région de
Charleroi en Belgique ?
Nous pouvons l’imaginer en lisant le témoignage de Gaston Pastre. Lieutenant dans l’artillerie lourde (la “lourde”), languedocien d’origine et de tempérament, pétri de culture classique, il participa à la bataille de Charleroi à fin août 1914. Voici ce qu’il écrit :
Singulier pays que ce coin de Belgique. Une province bâtie ; des fabriques, des manufactures et encore des usines, des forêts de cheminées ; d'interminables cités ouvrières alignant les rangs symétriques de leurs maisons identiques : si c'est là le paradis socialiste, je préfère celui de saint Paul. De loin en loin la rivière et le canal luisent entre des bouquets d'arbres, et voici des coins de parc oubliés par la folie des hommes.
De longues collines parallèles ravinées et vallonnées par de petits ruisseaux encadrent les lignes d'eau. La rivière et le canal sont faciles à franchir ; des maisons les bordent et forment autant de point d'appui. Il est vrai que les villas qui s'étagent plus haut, les bouchons, les maisons ouvrières avec leurs minuscules jardins clos de palissades, sont autant de réduits naturels. Ici les canons courts vaudront mieux que les longs. Quel curieux champ de bataille ! Mais au fait se battra-t-on ici ?
Le 22 août, le 1° bataillon organise défensivement le front du carrefour 400 mètres ouest du chemin de La Chêne jusqu’au chemin formant la limite ouest de Gozée. Le 3° bataillon organise défensivement Gozée. Les 11° et 12° compagnies sont mises à la disposition du colonel commandant le 10° hussard. Elles se battent au pont de la Jambe de Bois et à la fonderie de Landellies.
A 16 heures, la compagnie Lambert aperçoit deux compagnies allemandes remontant de Lerme vers le nord. Une de ces compagnies s’étant arrêtée et ayant formé les faisceaux le capitaine Lambert fait ouvrir le feu sur elle à 1.000 mètres. Cette compagnie agite alors un drapeau tricolore à bandes verticales dont il ne fut pas possible de distinguer les couleurs. Croyant à une erreur le capitaine fait cesser le feu. Deux minutes après, une pluie de projectiles vient s’abattre sur la compagnie Lambert.
Le 23 août, le régiment occupe défensivement la position de Gozée, sur un front de près de 2 kilomètres. Le 1er bataillon entre le chemin de Le Chêne et le chemin ouest de Gozée. Le 3e bataillon organise défensivement Gozée. Le 2° bataillon est en réserve à la ferme Heumon.
Le tir d’artillerie ennemie d’abord trop haut est réglé admirablement après quelques salves. Les éclatements se produisent très bas rasant presque la tête des tireurs. En même temps de petites colonnes ennemies débouchent du pont de la Sambre. Les premiers éléments sont rapidement fauchés par les mitrailleuses. Mais il en arrive bientôt de plus considérables qui ne peuvent être démolis qu’en partie, et qui petit à petit s’écoulent par la gauche du village. D’autres colonnes ayant passé la Sambre, au pont de Landelies, tentent aussi un mouvement débordant. Le 3° batailllon débordé se replie dans le bois sud de Gozée, en même temps que la 1° compagnie.Ordre est donné à la 6° compagnie (capitain Meliande) de ramener le bataillon à l’attaque de Gozée. Ce mouvement offensif conduit avec une énergie extrême par le commandant Nicolas réussit. A 15 heures, Gozée est de nouveau à nous. A 16 heures, ordre est donné de reprendre la positions du matin avec la Compagnie des Ordons et deux compagnies du bataillon Leblanc (Clor et Bergé-Andreu). La compagnie Cor fut presque anéantie. La compagnie Bergé-Andreu put se retirer sans pertes sérieuses. A 17 heures, les compagnies Bouron et Dibar et la section de mitrailleuses Carrere tiennent toujours dans leur tranchée.
A 18 heures, l’ennemi progresse toujours, Gozée est évacué de nouveau. A 18 h 30 l’ordre général de retraite est donné. La compagnie Burgalat, chargée de protéger la retraite, presque entourée, doit s’ouvrir un passage par un acte de courage et d’énergie qui lui fait le plus grand honneur. Le capitaine lançant sa compagnie à la charge traverse les groupes ennemis, mais frappé par une balle, il tombe en faisant signe à ses hommes de continuer le mouvement (J.M. et O. 49°)
Le commandant Nicolas avait été tué, ainsi que les Capitaines Burgalat, Lambert et Clor et le lieutenant Dornat. Le lieutenant Carrere et tous ses mitrailleurs furent criblés de projectiles. Le sous-lieutenant Delas avait été également frappé ainsi que la majorité de ses sous-officiers, caporaux et soldats.La compagnie Labat, dernière compagnie du régiment, recut l’ordre de protéger la retraite. Les éléments épars formèrent un échelon de repli, protégeant la retraite du train de combat. Le drapeau fut confié à une petite fraction. Mais l’ennemi ne poursuivant pas on put se retirer en bon ordre (J.M. et O. 49°)
La bataille de la Marne
Mais, du 6 au 13 septembre, Joffre aidé par Gallieni gouverneur de Paris, réussit, par la victoire de la Marne à stopper l’invasion, et le 49° régiment prit part à la poursuite des Allemands en retraite.
C’est à Voulton sans doute qu’il eut connaissance du célèbre ordre du jour de Joffre :
“Au moment où s’engage une bataille dont dépend le sort du pays, il importe de rappeler à tous que le moment n’est plus de regarder en arrière... Une troupe qui ne pourra plus avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer”.
Le 8, à 13 heures, le régiment reçoit l’ordre de se porter à Vendières (à 5 kms de Montmirail), afin de participer à une contre-attaque dans la direction générale de Marchais. A 16h 30, le 1° bataillon occupe la ferme de Bois Jean ; à 17 heures, les progrès de s 2° et 3° bataillons sont contrariés par l’artillerie ennemie. A 18 heures, le général commandant la brigade ordonne que les 2° et 3° bataillons soient poussés en avant. Les bataillons se portent à l’attaque du petit bois nord-ouest de la cote 182 ; ils sont reçus par des feux d’artillerie et de mitrailleuses. A 19h 30, les deux bataillons donnent l’assaut qui leur fait conquérir le terrain semé de tranchées jusqu’à la route nationale à la hauteur de la Meulière et de l’Aurois-Mitos. A 21 heures, le régiment bivouaque sur ses emplacements de combat.
Autrefois, celui qui couchait sur le champ de bataille était jugé vainqueur.
Au moment où l’armée repart à l’assaut, il faut évoquer l’éloge qu’a rendu aux Français leur adversaire, le Général Von Kluck :
“que des hommes ayant reculé pendant 15 jours, que des hommes couchés par terre et à demi morts de fatigue puissent reprendre le fusil et attaquer au son du clairon, c’est là une chose avec laquelle, nous autres Allemands, nous n’avions pas appris à compter, c’est une possibilité dont il n’avait jamais été question dans nos écoles de guerre”.
Le régiment reprend sa marche en avant et nous le trouvons le 9 septembre à Haute-Epine, au nord-est de Montmirail, le 11 septembre à Villers-sur-Fère, près de la Fère-en-Tardenois, le 12 septembre à Unchair, près de Fismes, le 13 septembre à Beaurieux et le 14 septembre à Craonnelle.
Epuisé et manquant
de munitions, l’ennemi se retrancha alors sur la ligne de
crête constituée par les collines dominant la
vallée de l’Ailette et sur laquelle court le
Chemin des Dames.
C’est le 15 septembre, entre la ferme d’Hurtebise
et le village de Craonne près du moulin de Vauclerc que le
régiment se bat tout entier près du moulin de
Vauclerc. Le plus souvent, seuls 2 bataillons étaient
engagés dans une affaire.
Et c’est au soir de ce 15 septembre que Louis ne
répondit pas à l’appel. Une vingtaine
d’hommes avaient été tués
mais plus de cinquante étaient portés
“disparus” La bataille avait
été acharnée, ceux qui
n’avaient pas reparu avaient-ils été
écrasés, enterrés, ou
retrouvés méconnaissables ? A cette
époque, les soldats ne portaient pas encore au poignet une
plaque d’identité. Et les morts étaient
si nombreux que beaucoup n’ont pas été
relevés.
TUÉS À L'ENNEMI
Il est fort probable que Louis repose dans la partie haute du cimetière de Craonnelle avec plus de 800 de ses camarades.
Stèle se trouvant dans le haut du cimetière de Craonnelle
Le régiment, lui,
continua sa route et se battit jusqu’à la fin du
mois de septembre 1915 contre les Allemands retranchés
solidement sur le Chemin des Dames.
En ce lieu, à Craonne, à Oulches, le
régiment devait revenir et subir de lourdes pertes en 1915
et 1917.
En 1916, Le 49° R.I. participa à
l’attaque, qui échoua, pour reprendre le fort de
Douaumont
Comme à chacun de ses passages en première ligne,
il perdit 300 hommes en quelques jours, partit au repos pour un certain
temps avant de revenir au combat.
C’est en 1918 seulement qu’il franchit
l’Ailette.
Louis reçut, à titre posthume, la
médaille militaire et la croix de guerre avec une citation -
comme tous les morts je crois ( mais je ne le sais pas de
façon certaine). Et un document officiel
fut envoyé à Grand-Père pour marquer
le sacrifice de Louis, son fils.
Il continua à vivre dans la famille.
J’ai toujours su que mon père avait perdu
à la guerre un frère qu’il aimait.
Il en est de même pour mon mari puisqu’il porte le
nom du plus jeune frère de son père, mort
à Verdun, en 1916, à 20 ans.
De temps à autre, le nom de Louis venait dans la
conversation et j’entends encore Grand Père
soupirer: “pauvre petit”.
Sa photo a été constamment à la
tête du lit de mon père qui
l’évoquait parfois: " il était petit
mais vif et batailleur, il courait vite, il dessinait bien.
A Uzès, il grimpait aux arbres, il courait au bout de la
propriété pour voir passer les trains et il
dessinait des locomotives avec passion, il chantait des chansons
patriotiques apprises à l’école (et que
mon Père fredonnait parfois), il était fier de
son métier de cuisinier, il aimait et admirait son
frère Charles pour ses succès
scolaires....”
Nous le regrettions, nous le plaignions d’être mort
avant d’avoir 21 ans, c’était si triste,
si injuste.
Et notre famille aurait été plus nombreuse
s’il avait en des enfants lui aussi.
Texte rédigée par Cousine. Année 2000
Bibliographie :
1° - Pierre Dejardin - Articles parus dans le "Rappel", journal régional relatant en détail la bataille de Gozée qui eut lieu en août 1914 :
2° - Gaston Pastre : Trois ans de Front aux Presses Universitaires de Nancy -1991
Et pour certaines illustrations :
3° - Paul Déroulède - Chants du soldat - Arthème Fayard et Cie - fin du 19° siècle