Vingt ans à Saint-Vincent de Rheins - La famille Blettery de 1874 à 1894 (2)


Félix Fulgence Blettery avait fait fortune dans le commerce de rubans et soieries à Saint-Etienne et il pouvait se retirer raisonnablement de l’affaire qu’il tenait place Marengo. De plus, aux dires de Grand-Père, celui-ci aimait “brayer”. Quel autre endroit plus propice pour exercer ce talent, qu’un joli coin de moyenne montagne ?

Il avait toujours conservé de nombreuses attaches à Saint-Vincent, (il y était né le 10 mars 1838). Et puis ses parents y habitaient encore. Aussi, n’hésita-t-il pas à revenir au pays natal, lorsque l’occasion s’offrit à lui.

En août 1874, il participa à Villefranche sur Saône à l’adjudication d’une propriété située à Saint-Vincent ayant appartenu à Charles Julien Lacroix, ancien constructeur de chemin de fer.

Ce Lacroix devait faire partie de cette ancienne famille bien implantée dans la région, qui avait fait fortune dans l’industrie du textile et avait donné plusieurs maires à la commune de Saint-Vincent.

Une coincidence amusante faisait que le nom de Julien Lacroix était bien connu des membres de la famille Blettery qui s’étaient fixés dans le quartier de Ménilmontant à Paris.

En effet ce nom avait été donné à une rue du 20° arrondissement de Paris en 1868, ouverte sur des terrains vagues qui avaient été donnés à Julien Lacroix par Charles X pour services rendus lors de la restauration des Bourbons. Ce Julien Lacroix était né à Saint-Vincent le 31 mars 1800.

Cette coincidence était d’ailleurs connue, puisque personnellement j’ai entendu plusieurs fois Papa y faire allusion.

Félix Fulgence Blettery acquit donc la grosse maison bourgeoise appelée dans le pays “Château de la Lièvre” et plusieurs hectares de terres autour, pour le prix de cent treize mille francs, somme très importante pour l’époque.

La famille Blettery s’installa donc dans cette nouvelle demeure vers 1876 (Voir quelques photographies prises vers 1887)

Cependant, il se peut que les circonstances de l’achat de cette propriété créa à Felix Fulgence des inimitiés parmi les notables de la région qui durent voir en lui un parvenu. En effet, chose curieuse, il ne semble avoir jamais participé de près ou de loin à la vie communale.

Quant aux petits paysans, aux dires d’un vieux monsieur que j’avais rencontré en 1990 et dont l’un des oncle avait été ouvrier agricole sur les terres du château de la Lièvre, il semble bien qu’ils ne prirent jamais vraiment au sérieux les efforts du citadin pour les travaux agricoles, le jugeant trop “social” avec ces ouvriers et trop souvent absent de la propriété.

Les grandes étendues de terre qui entouraient le Château de la Lièvre permirent à Félix Fulgence Blettery de se lancer dans l’agriculture et dans l’élevage sélectionné.

Il continua cependant son métier de négociant. Se déplaçant avec une calèche tirée par un cheval, il proposait aux merceries des articles de soie et des rubans. Et puis il allait se réapprovisionner dans les fabriques, souvent fort loin. Saint-Etienne, Lyon, Tours. Et Papa me disait même qu’il faisait des expéditions de marchandises au Canada et en Australie.

Dans le recensement de Saint-Vincent de Rheins daté de 1881, la maisonnée est composé ainsi :

- Félix Blettery, âgé de 44 ans, négociant
- Charlotte Chenevier, âgée de 46 ans, sa femme
- Benoite Plassard, âgée de 77 ans, sa mère
- François Grizard, âgé de 23 ans, valet
- Marie Fouillon, âgée de 32 ans, domestique.

Louis, notre grand-père n’est pas mentionné. A cette époque il devait se trouver en pensionnat au collège Jean Puy de Roanne.

Comme on le voit, la mère de Félix Fulgence, Benoite Plassard vint aussi s’installer au château de la Lièvre.

Mais ce changement de domicile n’empêchait pas Benoîte Plassard d’aller se promener parfois au bourg pour aller voir ses “vieilles patrocles”, à qui elle ne devait pas être fachée de montrer sa nouvelle position.

Cette expression qui désignait ses amis, amusait fort Grand-Père et il se demandait s’il n’y avait pas là une résurgence du nom Patrocle, ami fidèle d’Achille.

Une photographie, prise vers 1886/1887, nous la montre dans le parc du château de la Lièvre entourée de sa famille, coiffée d’un bonnet et portant un regard malicieux vers l’objectif qui fixe son image pour sa postérité.

Plassard Benoite

Charlotte Chenevier - Benoîte Plassard à Saint-Vincent - vers 1887

En 1881, le frère aîné de Félix Fulgence, Eugène Blettery, était installé au 30 rue de la Gare à Amplepuis avec sa femme, Virginie Berthelier et leur 5 filles (!), Maria, 23 ans, Félicité, 17 ans, Marie, 24 ans, Clotilde, 11 ans et Jeanne (la tante Jeanne), 6 ans.

C’est peut-être au cours d’une visite à ses cousins que la fille de Félix Fulgence, Jeanne Blettery rencontra Manfred Massabieaux.

Etabli à Saint-Vincent, Félix Fulgence Blettery se lança dans l'élevage de bovins et participa à plusieurs concours agricoles en présentant des taureaux de son exploitation. Il fut présent au concours qui eut lieu à Perrache sur le cours du midi à Lyon en juin 1885 et reçut un prix à cette occasion 

L'année suivante, (le 25 juin 1886), il participa  à un concours agricole à Clermont-Ferrand où il présenta un taureau de plus de 1100 kgs. Il y gagna le premier prix et reçu un magnifique bronze argenté représentant un taureau.

Selon l’état de dénombrement de la population établi en 1891, il y avait au château de la Lièvre les personnes suivantes :

- Blettery Fulgence, 53 ans, agriculteur
- Chenevier Charlotte, 55 ans, sa femme
- Plassard Benoîte, veuve Blettery, 86 ans, sa mère
- Blettery Mariette, 51 ans, sa soeur

La vie s’écoula ainsi très agréablement pour toute la famille Blettery et dans la mémoire collective des générations suivantes cette époque apparaîtra comme l’âge d’or et ce lieu comme le paradis.

Dans le courant du mois de février 1894, alors que Félix Fulgence devait être absent, tout le haut du château de la Lièvre prit feu et la toiture ainsi que le dernier étage furent gravement endommagés. Les causes de cet incendie ne furent pas très clairement établies, mais on parla de malveillances.

Le “Journal de Villefranche” du samedi 24 février 1894 fit paraître dans sa chronique locale l’article suivant :

“A Saint-Vincent de Reins, une maison d’habitation appartenant au nommé Blattery (sic), “propriétaire audit lieu a presque entièrement été la proie des flammes. Les dégats “peuvent être approximativement évalués à la somme de 45.000 francs et sont couverts “par une assurance.”

En juin 1894, Félix Fulgence Blettery accepta de vendre à la commune de Saint-Vincent une petite portion de terre pour la somme de 45 francs pour permettre l’élargissement du chemin allant de Saint-Vincent à Thizy.

L’incendie du château dût l’affecter profondement et, lui qui avait déjà mal ressenti le départ de son fils, prit la décision de vendre le château de la Lièvre.

Cela fut fait le 26 septembre 1894 par devant Maître Gouttard, notaire à Thizy. La propriété fut vendue aux enchères publiques pour le prix de 90.000 francs à Monsieur Grandjanny, négociant habitant à Lyon. On avait conservé dans la famille l'affiche qui avait été édité à cette occasion. En voici une interprétation fidèle.

Félix Fulgence Blettery quitta donc Saint-Vincent et vint s’installer à Nice. Sa mère, Benoîte Plassard ne voulut pas suivre la famille et resta dans le village où elle avait vecu presque toute sa vie. Elle s’y éteindra à l’âge de 92 ans le 3 janvier 1898.

partie de carte

La partie de Carte. Félix Fulgence Blettery et Charlotte Chenevier à Nice en 1903