Commentaire du curé de Vizille (Isère) à la fin de l'année 1692
guerres et conversion forcée de protestants
Le
dixieme jour du mois d’aoust, quatre compagnies du Regiment Rossillon
ont passé à Vizille. Ensuite huict compagnies des dragons du Regiment
du Dauphin envoyez par le Roy Louis quatorze pour la conversion des
Huguenots du pays de Prejalas, Cezane, La Grave, Mizuen, Besse et tout
l’Oysans pour le pays de Trives, Merif, St-Jean d’Heran, La Mecre,
Treminis, Cordece, Ste Catherine, St Sebastien, ensuite tous les lieux
circonvoisins où tout le monde fit abjuration de l’hérésie de Calvin en
moins d’un mois
A leur retour qui fut au commencement d’octobre de la
meme année nous aprime des troupes que quelques uns des huguenots
avaient soufferts le logement avec fermeté pendant quelques jours mais
à la fin la pauvreté leur fit plus de peur que l’abandonnement de leur
fausse religion. De sorte que depuis le commencement du mois d’aoust
jusqu’à la my octobre ont a veu tout le Dauphinée purgé de cette
maudite hérésie par le prompt secours de sa majesté chrétienne et
catholique, laquelle secondant les ordres de la providence de Dieu a
voulu si subitemment trier cette zizanie et mettre le troupeau de
l’église gallicane dans une entière pureté.
La ville de Grenoble pour s’épargner la dépense des
logements dont elle était aussy menacée supplia Messire en Dieu
Etienne le Camus eveque et prince de Grenoble de lui donner quelques
jours pour délibérer ensemble sur ce qu’ils auroient à faire de sorte
qu’en peu de jours on a veu tous les habitants de la RPR de cette ville
aller en foule à l’Eveché pour faire abjuration, et à la fin du mois
d’octobre il n’en est plus resté aucun et sans souffrir les gens de
guerre.
Le seigneur de Pelissat president et tous les
conseillers donnerent l’exemple au menu peuple. Il est vray que dans
ces commencemens de conversion, une grande partie de ceux qui
avoient fait abjuration, se sauverent prenant la route de Suisses ou
Allemagne ; mais aussi beaucoup de deserteurs ont esté pris et mis aux
prisons ; et quelque garde exacte qu’on aye fait en toutes les villes
ou de la province, il s’en est echappé surtout de femmes en qui on a
veu beaucoup plus d’obstination qu’aux hommes. On espere avec le temps
que les missions de parties en tous les endroits où il y avoit le plus
de gens de cette religion, fairont des fruicts apres que leurs
exercices leur auront manquez et qu’ils n’auront plus d’autre que ceux
de la religion Romaine.
On void meme de grands progrez parmy ceux qui ont le
plus d’esprit, attendu qu’ils se sont infraictz des veritez chretiennes
et ont quitté toutes les preventions qui les detenoient par l’ignorance
de nos sacrez mysteres qui leur avoient auparavant esté cachez par la
malice de leurs ministres qui deguisoient la parole de Dieu.
Le quinzieme jour du mois de novembre de la meme année
ceux de Trienes qui avoient souffert le logement des gens de guerre
avec trop d’opiniatreté à leur religion et par consequent consumé
beaucoup de leurs biens avant que de faire leur abjuration se voyant à
la fin contraints de s’y resoudre pour n’estre pas tout à fait abismés
enfin se resolverent ; c’est à dire prirent dessein de deserter la
province et abandonner leur pays, de sorte que le seigneur du Coulet à
la teste de soixante fusilliers prirent la route d’Oysans forcerent les
gardes partout ........... des leurs garroté comme prisonnier
faignant qu’ils le conduisoient jusques à Pignerol. De là passerent en
Savoye par les montagnes de Vasse pour se rendre en Suisse une autre
bande se forma dans le village de St Jean d’Heran sous la conduite du
sieur du ........ et du sieur Dubs du nombre de 52 personnes armées où
il y avoit une douzaine de femmes déguisées en hommes armés de fusils,
mousquetons et pistolets qui partirent apres souper environ les sept
heures du soir du 14 du p(rese)nt mois passerent la route tout de nuict
prirent le chemin de la Frey en Falcon pour passer sur le pont de St
Barthelemy lez Sechiline pensant que leur fuite leur seroit aussy
favorable que celle du sieur du Coulet ; mais il arriva tout le
contraire de leur entreprise ; car le curé de St Jean de Vaux se
trouvant à la Frey depecha deux hommes pour leur passer en devant et
avertir ceux de St Barthelemy de lever le pont ce qui fut executé avant
que lesditz deserteurs y fussent arrivez.
A meme tems tous les peuples de ça et da delà la
riviere se ramasserent par le toxin et l’allarme qu’on sonna de toutes
parts de maniere que se voyant ......astier et sans esperances
d’echapper prirent peur et au lieu de se rendre prisonniers firent tous
un decharge sur les habitans par le commandement de ceux qui les
commandoient dont il y eût un de tué sur le champt et deux
dangeureusement blessez ; mais les habitans voyant ce carnage furent
tellement animez qu’ils blesserent tous les fuyards qu’ils purent
attraper et en prirent trente huit prisonniers, un qui mourut le
lendemain, un autre qui se noya passant la Romanche qu’on poursuivoit .
Les Srs. de Roche et Prim laisserent leurs chariots et bagage au pillage, se sauverent comme ils urent par la montagne.
Deux des femmes furent tellement massacrées que l’une
en mourut l’autre demeura longtemps au chasteau de Sechiline où tous
les prisonniers furent mis jusques au lendemain que vingt officiers du
regiment d’Arnaud Finy vinrent prendre pour les conduire à
Grenoble. La compagnie des Archers en mena cinq autres qu’on
avoit pris à la Frey. Cependant ceux de St Barthelemy profiterent de
leurs depouilles dont une bonne partie s’accommoda du butin. C’estoit
une chose pitoyable de voir ces pauvres gens déconcertés et repentans
de leur folle entreprise. Sa Majesté les menagea toujours avec une si
grande douceur que si le demon ne s’estoit mis de la partie, il y en
avoit assez pour les gagner tous volontairement. Neanmoins ils en
usoient si mal qu’au lieu de se rendre à la volonté du Roy et à la
verité qu’on leur prechoiz, la plus part en devenoient pires s’ils
estoient à la messe, ce n’estoit que par crainte et par figure et leur
coeur estoit aussy huguenot que jamais. Le sieur Dulis gentilhomme eut
la teste tranchée à la Grenete et unes de ces femmes pendues deux
autres hommes pendus à Mens, le reste envoyé en galere royale, martyres
du demon canonizes et en abomination devant Dieu. Tous les temples du
royaume furent rasés et en un an et l’exercice de la religion de Calvin
abolie.
1689 Du depuis ils ont si bien pratiqué toutes les
couronnes qu’ils ont suscité une ligue generale contre la France
laquelle a esté appuyée du prince d’Orange qui avoit usurpé le trone
d’Angleterre et chassé le Roy Jacques son beau-père et qui s’est veu
refugiés en France avec la Reyne et le prince de Gale encor enfant,
entretenu depuis en cour de France. L’empereur qui estoit l’autheur de
la ligue tira dans son party l’Espagne, le duc de Savoye et tous les
electeurs d’Alemagne, lesquels fournirent au prince ce Savoye tant de
monde qu’enfin il fit 6000 hommes dans la campagne de 1692, de sorte
que le Roy de France estant contraint de faire plusieurs corps d’armées
pour se deffendre contre tous, il ne put avoir assez de monde pour
empecher que l’armée du prince de Savoye composée d’allemans, espagnols
et 8000 barbets qui s’estoient refugiez dans les vallées de Luxerne (On
appelle ainsi les huguenots de ce tems qui avoient deserté le Royaume)
n’entrassent par le pont de St Clement sur la Durance, lesquels ayant
pris Gerlostre dans le mois d’aoust 1692, assiegerent ensuite Embrun où
estoit la milice de Grenoble et autres troupes. Il ne se trouva pas
assez de munition de guerre par la faute et mesintelligence du sieur de
la Rez qui y commandoit, et la ville fut prise en peu de jours par le
duc de Savoye quelques jours apres il entra dans la ville de Gap d’ou
tous les habitans estoient déjà sortis. Et n’ayant pas voulu attendre
la contribution, la ville fut toute brulée et partout où cette armée
passa, bourgs et villages furent pillés et brulés jusques à Sisteron.
La Provence estant menacée se mit en diligence pour s’opposer jusques à
vingt mille hommes qui ayant fortifié Sisteron refuserent la
contribution. L’ennemy voyant qu’il estoit impossible d’accomplir son
dessein, s’en retourna à Embrun où estoit le prince de Piemont malade
de la petite vérole, fort heureusement pour Grenoble et tout le
Chamfaur. La mathefine et les autres lieux de passage : car ayant gagné
Embrun et Gap il poussoit sa pointe jusques à nous avec assez de
facilité, parce que nous n’aurions pas asssez du monde pour tenir en
assurance les passages difficiles qui sont à Pont Bernard, Lesdiguieres
et Ponthaut. Mais sa Majesté estant avertie de tous ces dangers donna
ordre au sieur du Catinat general de son armée d’Italie de faire des
detachemens des troupes qu’il avoit du costé de Briançon, Pignerol et
Suze, ils furent assez attands pour s’opposer aux ennemis qui n’oserent
plus entreprendre du costé de Grenoble. Pendant l’intervalle que
l’ennemy bruloit St Bonnet et les autres lieux jusques à Embrun et Gap
notre camp qui estoit à Aspre et à Corp firent marquer le camp dans la
campagne de Lamure faisant mine de reculer. Celle allarme jointe au
pillage que faisoit notre camp depuis Aspre jusques à Beaumont mit tout
le monde en si grande deroute que tous les habitans depuis là jusques à
Grenoble et depuis Veines tirant contre le Monastier de Clermont et
Vif, déménagèrent et porterent les meubles qu’ils purent à Grenoble
dans l’espérance que si l’ennemy venoit jusques là on auroit pû sauver
quelque chose par le moyen de la composition qu’auroit fait la ville,
je dis composition par ce que la ville n’estoit pas assez forte pour
soutenir dans l’estat qu’elle estoit quelque diligence qu’on apportat
pour la fortifier : car il auroit fallu encore plus d’une année entière
pour faire les demy-lunes et creuser les fossés. On avoit déjà abbatu
tous les bastimens des faux bourg de trois cloitre et de la porte de
Bonne, ce qui estoit une chose déplorable de voir tant de gens perdre
leurs maisons qui s’estoient epuisez pour les construire. Enfin la fin
de la campagne estant venue au commencement d’octobre 1692 l’ennemy
retiré la milice de Grenoble entra dans Guillestre, Embrun et Gap
lequel fut tout brulé excepté les couvents des Peres cordeliers,
Jacobins et Capucins. On se contenta en se retirant d’Embrun de faire
plusieurs breches aux murailles. Tou ce qu’on avoit caché dans la terre
dans ces villes là fut retrouvé par les ennemis et meme ce qui avoit
esté caché dans les cimetieres, les montagnes et les bois. Jamais on
n’avoit veu une plus belle recolte dans haut Dauphiné qu’alors. Mais
l’ennemy brula tous les gerbiers qu’ils trouva à la campagne. Il est à
remarquer que dans cette allarme qui arriva le 31 de aoust de ladite
année 1692 nous demenageames deux charriots chargés de nos meubles
apres tou Vizille, chez nos parans et de la ville. Et dans quinze jours
apres chacun rapporta chez soy ce qu’il avoit demenagé et par ce qu’en
ce tems là, le pont de Champs fut emmené par la Romanche. Le passage de
tous ces pauvres gens depuis Embrun jusqu’icy, fut dans Vizille qui
continua nuict et jour pendant huict jours, des familles entieres
desolées qui conduisoient les bestiaux qu’ils avoient pu sauver sans
cesse des charriots chargés d’enfans, de meubles de Lamure qui de
Comps, Touse du Villars et autres lieux de la Matherine, jamais on ne
vid en ces lieux tant d’objets de compassion si peu d’apparence de
pouvoir semer. Fait ce 20 7bre 1692. Chaleon curé de Vizille.
Le 29 juillet 1692 entre les 4 à 5 heures du soir il
tomba à Vizille une tempeste si extraordinaire qu’il y avoit des pieces
de grele comme le point et si dret et menu qu’à peine les couverts des
maisons pouvoient resister. Et durant un demy part d’heure tous les
chanutes furent generalement perues, les fromens, les jardins et les
transailles dans les montagnes, ce qui a causé une grande disette.