Relation de voyage par Dom Guyton

salle des convers

Le vendredy, douzième du dit mois de juin, nous partimes de la Vauleroy accompagnés du dit dom prieur, passames près l’abbaye de Cussy, l'une des mères de l'ordre Prémontré, passames dans un bateau la rivière d'Aisne à Pontavert, et arrivames à l’abbaye de Vauclair, vers les dix heures, ou nous trouvames monsieur l'Abbé, dom Bernard de Parvillez, en fort bonne santé, quoyqu’âgé de plus de quatre vingts ans et remplissans ses devoirs de religieux et d’abbé avec l’exactitude et la ferveur la plus exemplaire ; dom Edme Dosne, souprieur et curé de la paroisse ; Dom Antoine Henry, chantre ; dom louis Chatel : dom Etienne Ouverland ; dom Nicolas Rochez ; dom Henry Gobiat ; dom Théodore Botté ; dom Yves le Breton, président et cellerier ; dom Ignace Saintin, infirmier ; dom Augustin Malherbe, linger, dom Remy Couvreur, second président ; dom Jean-François Creusot ; dom Henry Loiseau, sacristain ; dom Benoit Dartois, dépensier ; dom Martin Desmarets, maître des novices ; frère Joseph Croquet et frère Jean Pennart tous religieux de choeur et composans la communauté de Vauclair, sept ou huit convers, dont l’un est couturier, restant près la porte du cloître, travaillant avec d'autres couturiers laïcs ; un autre, bon menusier.

La première porte d'entrée est tenue fermée réguliérement. Ce fut une femme qui nous l'ouvrit. C'est une grande porterie ; apartemens sur la porte et à côté en haut et bas. L'église pour la paroisse est auprès, environnée d’un cimetière et façon de jardin propre, le tout fermé d'une muraille à hauteur d'homme. Cette église est belle au dedans et au dehors, bien ornée chaire de prédicateur ; on nous dit que les fonctions de curé et devoirs de paroisse s'y font exactement par dom souprieur qui presche tous les dimanches, chante la messe et les vêpres, fait le catéchisme, et neantmoins, se rend à tous les actes de communauté. Cette église est distribuée en sanctuaire, choeur où il y a plusieurs bancs pour paroissiens et paroissiennes, fonts baptismaux, sans visite d’évêques. La cour est grande et fort étendue. Dom procureur y a un logement pour le jour. On voit le portail de l’église qui est régulier.

La salle des hôtes est belle, voûtée, élevée ; le logis d’hôtes, propre modeste et commode. Monsieur l’Abbé mangea toujours avec nous, faisant luy même au commencement du repas lecture de quelque période du livre de l’Imitation de Jésus-Christ. Il appelle à sa table dom souprieur et d'autrefois d'autres de ses religieux.

Le cloitre est beau, surtout le cloitre vitré de la collation ; belle église dans laquelle on monte du cloitre plusieurs degrez ; beau rond point ; belles chapelles. Le sanctuaire est propre ; le saint ciboire est en suspension sous une coupe soutenue de quatre pilliers de vermeil comme le ciboire suspendu à une crosse, au pied d’une grande croix de cuivre. au haut du tabernacle, à côté deux anges adorateurs, de bois ou de pierre. Il y a comme à Clairvaux, quatre sièges pour le celébrant et les ministres ; trois lampes, l’une entre les sièges de l'Abbé et du prieur à la messe ; la seconde entre les places des deux anciens de chaque cöté au choeur de vêpres; la troisième dans la nef devant les deux autels. Il y a vingt formes de chaque côté du choeur, sans compter les quatre du dossier.

La place de monsieur l’Abbé à vêpres est toute différente de celle du prieur, parce qu’elle est fermée des deux côtés et sur la tête comme une niche.

Les novices ont un pulpitre à deux faces, un livre sur chaque face tournée devant eux, et chantent sur icelui sans sortir de leurs places à la messe ni à vêpres.

Les convers au choeur de la communauté sont dans un autre chariot que celui ded novices, quoyque le nombre de ceux-ci ne l'emplisse pas tous les sièges du premier chariot où ils sont. Nous avons vu le dimanche monsieur l'Abbé recevoir l'eau bénite, par aspersion, comme les religieux comme feu monsieur Bouchu, abbé de Clairvaux, d'heureuse mémoire, et pendant quelque temps, son successeur. Le choeur est ancien, à accoudoirs dans les formes des religieux, qui se lèvent, et abaissent selon la stature de chacun.

Dans le thrésor de reliques, il y a une belle croix en philigramme et pierres précieuses. Coulle grise de saint Bernard dans un beau et grand reliquaire de bois doré, autre reliquaire d’argent où est relique de notre saint Malachie, et de nos saints Eutrope, Zozime, et Bonose, dont ils ont, disent-ils, attestation.

Beaux ornemens conservés près le dortoir. On descend dans la sacristie, par dessous l'escalier du dortoir qui est beau; elle est belle et longue. On y voit trois essuye-mains, ante missam, post missam, pro ministris.

Le dehors de l'église bien enduit, les couverts en bon état, toute la maison en bon ordre. On marque sur une table par chaque jour et pour chaque demie heure les religieux qui doivent célébrer, par exemple, depuis sept heures à la demie ; depuis la demie à huit heures de huit heures à la demie ; de la demie à neuf heures. La bibliotèque est des plus belles, de plein pied au dortoir ; porte grillée de fer pour entrer dans le vestibule ou sont les manuscrits *. On entre tout de suite par une autre porte ordinaire dans la grande et large bibliotèque ; au fond sont les saintes bibles, et par piété on a élevé au dessus un dais en menuserie fort bien travaillé. Au dessous est la salle des abbés, qui en a une autre à côté de la même longueur et largeur, pour la commodité des religieux.

L'infirmerie est commode ; il y a une chapelle sur laquelle les chambres voisines ont vue, mais elle n'est pas séparée des autres batimens comme les règles de l'Eglise le requièrent. Il y a une bonne apoticairerie, aux soins de dom Ignace Saintin, qui ordinairement a par dessus son habit régulier pour le travail, un long tabiier qui s'attache au col ; et deux manches de toile sur les manches de sa robbe. Les infirmes y sont bien soignés, de l'aveu de tous religieux. Beaucoup de tombes dans le chapitre et devant le chapitre, dans le cloitre, de leurs pères Abbés. Au bout de celui de la collation et à la tête de celui qui tourne au couchant est une tombe qui représente un moine en coulle, les manches croisées l'une sur l'autre, le capuchon attaché au collet de la coulle.

De grands et beaux greniers, celui qu'ils appelent la nacelle.

Il y a pour le grenetier un cabinet dans le coin d’un de ces greniers, qui luy est commode pour écrire et mettre son argent dans une armoire pratiquée dans le mur. Les deux pressoirs sont des plus beaux : les arbres, au nombre de huit, pour les deux presssoirs, portent en quarré deux pieds et demy.

Il y a plusieurs grands jardins et vastes, entre autres celui derrière l’église, qu’ils appellent la Colinière, qui est partagé et distribué en plusieurs allées de hautes charmilles, et cabinets.

Le révérend père Abbé est des plus réguliers et fervens ; beaucoup de charité, d'humilité et de prudence. Il loge au dortoir, il va à tous exercices, au réfectoir soir et matin, n'a pas de prieur , travaille beaucoup, porte du bois à la cuisine.
On voit dans l'église plusieurs litanies imprimées du saint Sacrement, de S. Benoist, de Ste. Scholastique, de St. Bernard, de l'Enfant Jésus, du nom de Jésus. de la Passion, de la sainte Vierge, Parisis apud AEgidium Alliot, 1673.
Il y a près de I' abbaye une vigne, nommée la Ptisane; elle venoit d'être greslée.

Le couturier voulut bien m’y racomoder notre casaque et manteau de campagne.

Ce que nous avions à faire de particulier dans l’abbaye de Vauclair et pour quoy monsieur notre Abbé de Clairvaux nous avoit donné commission, étoit de voir si le révérend Abbé de Vauclair persistoit dans les sentimens qu'il lui avoit renouvellé même depuis peu et de plus à son prédécesseur dom Robert Gassot, et même au révérendissime père dom Pierre Bouchu, quarante septième abbé de Clairvaux, de mettre entre ses mains et sous sa juridiction immédiate, son abbaye du Reclus de l'étroite observance, près de la ville de Sézanes en Brie, laquelle depuis les guerres de la minorité de Louis quatorze notre grand roy, ou cette abbaye a été presque ruinée dans ses biens, et dans ses batimens, n'a pu se relever, nonobstant les soins, les denrées, les sommes considérables d'argent que le dit révérend Abbé de Vauclair, père immédiat du Reclus, y a donné chaque année depuis plus de trente ans, luy-même et ses prédécesseurs abbés, comme lui. Nous avons en effect trouvé le dit Abbé dans la même résolution ; qui ne pouvant plus supporter ces dommages faits à son abbaye de Vauclair, sans qu’ils ayent encore pu tourner au rétablissement du Reclus, béniroit Dieu si son supérieur monsieur de Clairvaux vouloit bien s’en charger, espérant que sa plus grande authorité lui ouvriroit des voyes plus efficaces pour préserver l’abbaye du Reclus de sa ruine totale.

L'affaire communiquée, délibérée par toute la communauté, elle a fait transport de l’abbaye du Reclus, sa fille immédiate, et de toute l'authorité et juridiction que cette qualité luy donnoit sur icelle, à monsieur le révérendissime Abbé de Clairvaux, par un écrit authentique signé le dimanche quatorzième jour du mois de juin mil sept cent quarante quatre et de tous et un chacun les religieux composans la communauté du dit Vauclair, bien entendu qu'on requérera le consentement en forme des religieux de l'abbaye du Reclus, lequel sera icy marqué dans son lieu.

Texte paru dans "Revue de Champagne et de Brie, t. II, 1877, pages 273-278

le 10 janvier 2003- (à completer)